Les premières images du type de bombe chimique utilisé dans les attaques au sarin en Syrie

Dans la matinée du 4 avril 2017, la ville de Khan Cheikhoun, dans le gouvernorat d’Idleb en Syrie, a été touchée par une bombe chimique remplie de sarin, un agent innervant mortel, larguée depuis un appareil syrien. Elle a tué des dizaines de personnes, et en a blessé bien plus encore.

Après cette attaque, la mission d’établissement des faits de l’OIAC a enquêté sur l’incident, confirmant les suspicions d’utilisation de sarin et déclenchant les investigations du mécanisme conjoint de l’OIAC-ONU qui a établi les événements de la journée.

Bien que très peu de débris de cette bombe aient été retrouvés sur le site de Khan Cheikhoun, mis à part quelques morceaux de métal, l’un de ces fragments a été identifié par le mécanisme d’enquête conjoint de l’OIAC-ONU comme un bouchon de remplissage d’une bombe chimique syrienne.

Si l’attaque du 4 avril 2017 à Khan Cheikhoun a globalement bénéficié d’une large couverture médiatique – donnant lieu à la fois à des condamnations internationales du gouvernement syrien et une action militaire des États-Unis contre des cibles en Syrie – ce n’était pas la première fois que la Syrie avait utilisé du sarin.

De fait, ce n’était pas la première fois au cours de cette même semaine que la Syrie avait fait usage de sarin, comme l’ont démontré d’autres rapports de la mission d’établissement des faits de l’OIAC qui ont établi l’existence de deux autres incidents d’utilisation du sarin dans la ville d’al-Lataminah, à moins de 20 km au sud de Khan Cheikhoun, les 24 et 30 mars 2017.

En plus d’établir l’utilisation du sarin au cours des jours précédant l’attaque du 4 avril à Khan Cheikhoun, il était également possible d’établir un lien entre cette dernière et les attaques de mars. Dans son rapport sur l’incident du 24 mars, la mission d’établissement des faits de l’OIAC avait inclus un tableau qui notait les «similarités entre les analytes de ces échantillons et ceux de précédentes allégations.»

Tableau extrait du rapport de la mission d’établissement des faits de l’OIAC sur l’attaque au sarin du 24 mars 2017 à al-Lataminah comparant les échantillons avec ceux d’autres attaques au sarin.

Ce qui est notable, c’est la présence d’hexamine sur chacun des trois sites. Ce composé, comme Bellingcat l’a déjà signalé, est un ingrédient clé dans la fabrication du sarin produit par la Syrie. L’importance de sa présence a été expliquée dans le rapport du mécanisme conjoint de l’OIAC-ONU sur Khan Cheikhoun, publié en octobre 2017 :

«Selon les informations obtenues par le Mécanisme, le bouchon de remplissage, avec deux bouchons de fermeture, est compatible uniquement avec les bombes aériennes chimiques syriennes. Le Mécanisme a reçu une évaluation du bouchon de remplissage et une analyse chimique montrant du sarin et un produit de réaction du sarin avec de l’hexamine qui ne peut se former que sous une chaleur très élevée. Nous avons également reçu des informations selon lesquelles le fragment de métal collecté dans le cratère pourrait correspondre aux pièces d’une munition aérienne chimique syrienne.»

Le bouchon de remplissage, décrit ci-dessus, était également très significatif. En plus d’être «compatible uniquement avec les bombes aériennes chimiques syriennes», un bouchon de remplissage de conception et de dimensions identiques à celui décrit à Khan Cheikhoun a également été retrouvé sur le site de l’impact de l’attaque du 30 mars 2017 à al-Lataminah. Nous avons désormais deux liens entre ces attaques – le même sarin correspondant au processus de fabrication syrien, et le même type de bouchon de remplissage «compatible uniquement avec les bombes aériennes chimiques syriennes».

Le bouchon de remplissage décrit par le mécanisme conjoint de l’OIAC-ONU comme «compatible uniquement avec les bombes aériennes chimiques syriennes». À gauche : un bouchon à al-Lataminah ; à droite : un bouchon à Khan Cheikhoun

Bien qu’il puisse y avoir une certaine ressemblance entre ce bouchon de remplissage et des capuchons similaires utilisés sur les autres munitions, un examen attentif de ces bouchons montre qu’ils ne correspondent qu’entre eux, et pas à d’autres types de capuchons de remplissage utilisés dans d’autres munitions documentées publiquement.

Ce lien entre ces attaques est particulièrement important étant donné que, s’il n’y avait que peu de débris laissés dans le cratère de Khan Cheikhoun, bien plus ont été retrouvés autour de celui d’al-Lataminah, y compris des morceaux de la queue de la munition et deux bouchons de remplissage, dont l’un était fixé à une pièce de métal sur laquelle était attachée un anneau de suspension – sans parler d’autres objets.

L’établissement du type exact de bombe utilisé à al-Lataminah le 30 mars a été permis par des représentants de la fédération russe, qui avaient décidé de publier un diagramme présentant les deux types de bombes chimiques syriennes, la M4000 et la MYM6000, dans leur tentative pour défendre le gouvernement syrien contre les allégations de son implication dans l’attaque de Khan Cheikhoun.

Le diagramme des deux types de bombes chimiques syriennes, la MYM6000 et la M4000. Remarquez les deux images du dessus montrant la MYM6000 avant et après le processus de mélange du sarin, et les images du bas montrant la M4000 après le processus de mélange du sarin

En comparant le diagramme de la M4000 et les débris retrouvés sur le site de l’attaque d’al-Lataminah, il a été possible de démontrer plusieurs correspondances entre eux, et de confirmer que la largeur de la bombe était similaire, indiquant ainsi fortement que la bombe utilisée à al-Lataminah était une bombe chimique syrienne de type M4000. La correspondance entre le type de bouchon de remplissage documenté à al-Lataminah et celui de Khan Cheikhoun étaye l’affirmation du mécanisme conjoint de l’OIAC-ONU selon laquelle le bouchon est «compatible uniquement avec les bombes aériennes chimiques syriennes».

Un diagramme démontrant comment les débris retrouvés à al-Lataminah correspondent avec le diagramme de la bombe chimique syrienne M4000

En outre, nous avons demandé à Forensic Architecture de créer une modélisation précise des débris ainsi qu’un modèle basé sur le diagramme de la bombe. Il a été possible de créer des modèles utilisant les bonnes dimensions en se basant sur les mesures prises puis publiées par la mission d’établissement des faits de l’OIAC. Les débris ont ensuite été replacés sur le modèle 3D de la bombe (basé sur les mesures et les détails fournis par le diagramme publié par la Russie), montrant ainsi de fortes correspondances avec ce qui était visible sur le diagramme :

Cependant, au cours des premières investigations il n’existait aucune image disponible de la bombe chimique M4000. Pour confirmer définitivement le type de bombe utilisé et que le bouchon était «compatible uniquement avec les bombes aériennes chimiques syriennes», il était nécessaire de trouver des images claires de la bombe chimique M4000.

Après deux ans, nous avons maintenant découvert des images de la bombe chimique M4000, nous permettant de faire cette comparaison finale. En avril 2013 a été publiée la vidéo suivante :

Identification de la munition

Lorsqu’il s’agit d’identifier des bombes, nous observons les caractéristiques distinctives de chacune d’elles, telles que la position des ailerons de queue, s’il y a ou non des anneaux de queue, si oui, combien y en a-t-il, etc.

Les images ci-dessous montrent différentes types de bombes russes. Remarquez les différents types de configurations d’ailerons de queue, puis regardez les autres détails uniques comme les anneaux de suspension, leur nombre, leur position :

Différents types de bombes russes

Ces caractéristiques distinctives nous permettent non seulement d’associer des éléments aux documents de référence sur les bombes afin de confirmer leur identité, mais également d’exclure des types spécifiques en se basant sur des éléments non-correspondants.

La vidéo décrit la bombe comme une munition non-explosée, mais fournit peu d’information sur le type exact de cette munition. En revanche, en la comparant soigneusement avec le diagramme de la bombe chimique M4000, il est possible de confirmer qu’elle possède de nombreuses caractéristiques distinctes identiques avec la bombe chimique M4000.

Les premières correspondances avec le diagramme sont les deux bouchons de remplissage, et la position des anneaux de suspension autour de ces bouchons :

En haut : une capture d’écran de la vidéo d’avril 2013 (inversée pour les besoins de la comparaison). En bas : le diagramme russe de la bombe chimique M4000. En vert : les correspondances des bouchons de remplissage. En rouge : les correspondances des anneaux de suspension

Nous pouvons nettement voir que les positions des bouchons et des anneaux montrées sur le diagramme sont très similaires à celles visibles sur la vidéo. Une paire de bouchons de remplissage est très inhabituelle pour un bombe, mais l’objectif d’avoir deux bouchons a été expliqué par un ancien membre du Centre d’études et de recherches scientifiques syrien (CERS) dans un article de Mediapart :

«Ce qui a impliqué aussi, pour les ingénieurs du CERS, de concevoir des bombes très différentes des munitions classiques. Extérieurement, explique l’un d’entre eux, elles ressemblent aux bombes conventionnelles de 250 et 500 kg chargées de TNT. Mais à l’intérieur, elles sont totalement différentes, divisées en deux compartiments distincts. Le premier, à l’avant, reçoit le DF. Le second, à l’arrière, le mélange d’isopropanol et d’hexamine. Ce mélange est brassé par un agitateur que l’on peut actionner par une sorte de manivelle à l’arrière de la bombe. Lorsque les deux compartiments sont remplis, un technicien actionne la manivelle qui fait avancer l’agitateur jusqu’à briser la paroi de mica. La réaction de synthèse du sarin se déclenche alors dans la bombe, placée sous une douche froide et maintenue dans une fourchette de température très précise, contrôlée par un thermomètre laser. Après quoi, il ne reste plus qu’à introduire dans le logement prévu, à la pointe de la bombe, la charge explosive et le détonateur, altimétrique, chronométrique ou autre, et à accrocher la bombe sous l’aile de l’avion. La charge doit être très précisément dosée. Si elle est trop importante, la chaleur dégagée risque de provoquer la décomposition du produit, ou la formation du nuage de gaz trop loin du sol, ce qui le rendra inefficace. En principe, une bombe de 250 kg contient 133 litres de sarin, quelques kilos de TNT et un lest destiné à préserver les caractéristiques aérodynamiques de la munition. Une bombe de 500 kg contient 266 litres de sarin. L’altitude idéale d’explosion de la bombe et de formation du nuage est autour de 60 mètres. »

En cohérence avec la description faite ci-dessus, le diagramme de la bombe MYM6000 montre une paroi séparant les deux chambres remplies grâce aux deux bouchons, et le bras de la manivelle à l’arrière. Ce même bras de manivelle est visible sur le diagramme de la bombe M4000. Ce bras de manivelle et le logement dans lequel il se trouve sont visibles ci-dessous, marqués respectivement en bleu et en jaune :

En haut : une capture d’écran de la vidéo d’avril 2013 (inversée pour les besoins de la comparaison) ; En bas : le diagramme russe de la bombe M4000. Le bras du mélangeur est marqué en bleu, son boîtier est marqué en jaune

Il convient également de noter que le bouchon de remplissage, les anneaux de suspension et la manivelle sont tous nommés en arabe sur le diagramme, confirmant plus avant leur fonction.

La paire de bouchons de remplissage, en plus de la manivelle, sont des éléments très inhabituels pour une bombe, et confirment la description du processus de remplissage d’une bombe chimique syrienne expliqué dans l’article de Mediapart. La forme de l’avant de la bombe et la forme des ailerons de queue correspondent également avec ce qui est montré sur le diagramme.

De plus, il est possible d’établir la taille approximative de la bombe qui apparait dans la vidéo d’avril 2013, et voici comment : En créant un modèle 3D de la bombe de la vidéo il est possible d’utiliser les mesures précédemment établies des bouchons de remplissage pour calculer la largeur de la bombe.

En haut : une image composite de la bombe vue dans la vidéo d’avril 2013 ; En bas : une modélisation 3D basée sur la bombe de la vidéo

Cela montre que les dimensions de la bombe correspondent avec celles visibles sur le diagramme de la bombe chimique M4000 telles qu’elles ont été publiées par les représentants de la fédération russe.

Pour confirmer que la proportionnalité des mesures se trouve dans une marge correcte, Forensic Architecture a utilisé la photogrammétrie pour recréer un modèle de la bombe de la vidéo d’avril 2013. Ce processus permet de construire un modèle proportionnel de la bombe 3D à partir de la vidéo. La largeur de la bombe a été estimée à 460 mm, comme sur le diagramme russe. Cela a permis d’effectuer des mesures approximatives proportionnelles du reste de la bombe pour vérifier si elles correspondaient aux mesures prises sur les débris récupérés lors des attaques au sarin de Khan Cheikhoun et d’al-Lataminah :

En se basant sur les caractéristiques distinctives dans ce diagramme russe de la bombe chimique M4000 et celles visibles sur la vidéo de 2013, ainsi que sur les mesures de la bombe, il est donc possible de conclure que la bombe visible dans la vidéo de 2013 est en correspondance quasi-parfaite avec ce que la Russie décrit comme une bombe de type M4000.

Comparaison de la munition et des débris

Deux séries de débris ont été documentées sur les attaques au sarin d’al-Lataminah le 30 mars 2017 et de Khan Cheikhoun du 4 avril 2017. Comme mentionné précédemment, un nombre plus réduit de débris a été documenté à Khan Cheikhoun, mais incluait le bouchon de remplissage que le mécanisme conjoint de l’OIAC-ONU liait aux bombes chimiques syriennes et qui correspondait également aux deux bouchons de remplissage retrouvé sur le site d’al-Lataminah. En comparant ces débris au diagramme de la M4000 publié par la Russie, il a été possible de montrer de multiples correspondances avec le type des débris retrouvés et les caractéristiques de la M4000 présentées sur le diagramme.

En se basant sur ces débris, il est possible de confirmer qu’ils correspondent aux caractéristiques de la bombe visible dans la vidéo d’avril 2013, confirmant que les débris retrouvés à al-Lataminah ont de multiples correspondances avec la bombe chimiques de type M4000.

Il a déjà été établi que les bouchons de remplissage retrouvés à Khan Cheikhoun et al-Lataminah sont identiques à tous points de vue, y compris en prenant en compte les mesures exactes. Les bouchons ont pour caractéristique d’avoir deux trous à l’extérieur, qui correspondent avec l’outil utilisé pour les dévisser. Même sans les mesures précises des bouchons vus dans la vidéo d’avril 2013, il est toujours possible de comparer la distance proportionnelle entre le bord du bouchon de remplissage et les trous des bouchons de Khan Sheikhoun et Al-Lataminah avec ceux de la vidéo d’avril 2013, démontrant définitivement qu’ils sont identiques :

En haut : le bouchon de remplissage vu dans la vidéo d’avril 2013 ; en bas : un bouchon de remplissage retrouvé sur le site de l’attaque d’al-Lataminah survenue le 30 mars

La position du bouchon et de la crête autour de celui-ci doit également être notée comme un élément de correspondance entre les bouchons récupérés lors des deux attaques au sarin de 2017 et la vidéo d’avril 2013 :

Comparaison des bouchons de remplissage. À gauche : al-Lataminah, 30 mars 2017. Au centre : Khan Cheikhoun le 4 avril 2017. À droite : la vidéo d’avril 2013

Comme on peut le voir sur d’autres exemples de bouchon de remplissage présents sur les bombes visibles ci-dessous, la position du capuchon par rapport au corps de la munition peut varier, ce qui souligne encore l’importance de la correspondance exacte entre les bouchons de remplissage examinés ci-dessus :

À gauche : une ODAB-500 avec ses bouchons de remplissage visibles. À droite une KhAB-250 avec son bouchon de remplissage visible.

Sur la bombe complète de la vidéo d’avril 2013, nous pouvons voir qu’à côté des bouchons se trouvent des anneaux de suspension. L’un des deux bouchons de remplissage récupérés sur le site de l’attaque d’al-Lataminah du 30 mars 2017 est relié par un morceau de métal à un anneau de suspension qui correspond au type vu dans la vidéo d’avril 2013, jusqu’à la forme de la soudure qui le rattache au corps de la bombe :

À gauche : le bouchon de remplissage et l’anneau de suspension vus dans la vidéo d’avril 2013. À droite : le bouchon de remplissage retrouvé sur le site de l’attaque d’al-Lataminah survenue le 30 mars 2017.

La queue correspond également à celles retrouvées à al-Lataminah. Sur l’image ci-dessous, on peut voir la configuration de la queue de la bombe :

Une image composite de la vidéo d’avril 2013 montrant la bombe complète

Quatre ailerons de queue sont attachés à la queue de la bombe, avec un anneau autour au bout. Les ailerons de queue ne dépassent pas la largeur de la bombe ou l’anneau de queue. Là où la queue se rétrécit, à l’arrière, il y a une section de métal et, à l’intérieur, une tige de métal s’étend vers l’arrière de la bombe:

Les anneaux de queue de la bombe de la vidéo d’avril 2013

Un autre angle des anneaux de queue montre que les quatre ailerons sont connectés à un autre anneau intérieur plus petit, et entre chacun des ailerons il y a à chaque fois une autre pièce de métal, soit quatre rayons reliant les anneaux intérieurs et extérieurs, ce qui donne huit connexions au total.

Photo des anneaux de queue extraite du rapport du rapport du mécanisme conjoint de l’OIAC-ONU sur al-Lataminah

L’objet ci-dessus a été retrouvé sur le site de l’attaque d’al-Lataminah et décrit dans le rapport du mécanisme conjoint de l’OIAC-ONU comme suit :

«01SDS(B) est un objet métallique large déformé et corrodé. Malgré la corrosion, il est toujours possible de voir des couches de couleur vert foncé et grise. Il est également possible de voir un anneau intérieur plus petit au centre, connecté par sept pièces métalliques à un anneau extérieur plus large. Quatre de ces parties connectant les deux anneaux sont rectangulaires. Les trois autres sont plus larges et triangulaires. L’espace entre ces trois pièces, en plus des indications sur les anneaux, laisse penser qu’une pièce triangulaire plus large est manquante. Cela correspond à l’assemblage de la queue d’une bombe aérienne. La mission d’établissement des faits a pris de nombreuses mesures de ces objets. Vu le niveau de déformation, ces mesures ne sont que des dimensions approximatives. Ces dimensions approximatives n’ont pas été incluses.»

Cette description correspond avec ce qui est visible sur la bombe de la vidéo d’avril 2013. En outre, la mission d’établissement des faits de l’OIAC a publié les photos suivantes montrant une large pièce métallique avec une autre pièce métallique triangulaire attachée dessus :

Photo extraite du rapport de la mission d’établissement des faits de l’OIAC sur l’incident d’al-Lataminah du 30 mars 2017

En collaboration avec Forensic Architecture, nous avons pu reconstituer la forme des deux débris, démontrant ainsi qu’ils constituent la queue de la bombe, conformément aux caractéristiques de la queue de la bombe présentée dans la vidéo d’avril 2013 :

Même les détails les plus infimes entre les ailerons de queue de la vidéo d’avril 2013 et les débris retrouvés à al-Lataminah correspondent. Sur l’image ci-dessous, nous pouvons voir que l’extrémité la plus fine de l’aileron de queue ne se termine pas en un point affleurant le corps de la bombe, mais par un angle droit. C’est une caractéristique a priori mineure, mais qui montre la forte correspondance avec les débris retrouvés à al-Lataminah et la bombe M4000 entière documentée dans la vidéo d’avril 2013 :

À gauche : les débris de queue retrouvés à al-Lataminah ; à droite – la section de queue de la bombe vue dans la vidéo d’avril 2013

L’assemblage de l’avant de la bombe est plus difficile à observer dans la vidéo d’avril 2013, mais il est encore possible de comparer les similitudes entre l’assemblage de l’avant de la bombe récupérée à al-Lataminah et l’assemblage de la M4000 de la vidéo d’avril 2013 :

À gauche : l’assemblage de l’avant de la bombe présenté dans le rapport de la mission d’établissement des faits de l’OIAC sur al-Lataminah. À droite l’assemblage de l’avant de la bombe M4000 de la vidéo d’avril 2013

En se basant sur les correspondances ci-dessus, il est clair que les débris d’al-Lataminah correspondent avec ceux d’une bombe chimique syrienne M4000, et que par conséquent le bouchon de remplissage retrouvé dans le cratère de Khan Cheikhoun correspond aussi avec celui d’une bombe chimique syrienne M4000.

Autres caractéristiques d’intérêt

L’un des débris de l’attaque de Khan Cheikhoun a été au centre de vifs débats. En plus du bouchon de remplissage retrouvé dans le cratère, un gros morceau de métal plié a également été filmé et photographié à l’intérieur de ce cratère :

Le fragment de métal dans le cratère de Khan Cheikhoun

Certains commentateurs ont affirmé qu’il était impossible pour une pièce de métal issue d’une bombe de prendre une forme pliée de telle manière, suggérant qu’il s’agissait d’un objet n’ayant rien à voir avec une bombe, comme par exemple une roquette de 122 mm. Pourtant, on peut voir dans la vidéo d’avril 2013 que le morceau du corps à l’avant de la bombe s’est enfoncé, probablement en raison d’un impact très puissant :

L’avant de la M4000 visible dans la vidéo d’avril 2013

Une autre caractéristique de la pièce de métal pliée de Khan Cheikhoun suggère qu’elle a pu être déformée d’une façon similaire. Une barre de métal épaisse s’étend le long de la pièce de métal, parallèlement au pli. Dans le diagramme présentant la M4000 on peut voir que des supports métalliques suivent la circonférence du corps de la bombe, un de ces supports métalliques a été retrouvé à al-Lataminah :

Le fragment de métal retrouvé à al-Lataminah et présenté dans le rapport de la mission d’établissement des faits de l’OIAC

Considérant la position de la barre métallique sur le débris retrouvé à Khan Cheikhoun, et ce que nous savons de la construction d’une bombe chimique M4000, la pièce métallique tordue de Khan Cheikhoun correspond avec le type de dommages observés sur la bombe de la vidéo d’avril 2013, qui ont eux-mêmes presque certainement été causés par un impact à une vitesse très élevée sur l’avant de la bombe.

La vidéo d’avril 2013 est-elle une preuve d’attaque au sarin ?

Puisqu’il est maintenant évident que la bombe de la vidéo d’avril 2013 est une bombe chimique de type M4000, le même type que celle utilisée dans les attaques au sarin de 2017, cela ne signifie pas nécessairement que la vidéo d’avril 2013 constitue la preuve d’une attaque au sarin.

La république arabe syrienne a précédemment affirmé qu’une partie de ses stocks de bombes chimiques a été reconvertie en bombes conventionnelles. En 2018, Ahmet Üzümcü, de l’OIAC, a écrit ce qui suit à propos des progrès de l’OIAC dans le désarmement du programme chimique syrien :

«Le troisième ensemble de questions en suspens concerne la vérification de la quantité précise d’armes chimiques détruites ou brûlées avant l’adhésion de la République arabe syrienne à la Convention. Cela comprend le sort de 2.000 bombes aériennes conçues pour servir d’armes chimiques. Celles-ci auraient été reconditionnées pour des utilisations conventionnelles. En l’absence de documents probants et de preuves physiques, le secrétariat n’a pas été en mesure de vérifier que ces munitions ont bien été reconditionnées ou brûlées.»

Pendant les recherches de Bellingcat sur les bombes chimiques M4000, un second exemple de M4000 a été trouvé, datant cette fois de 2014 :

Cette bombe est en bien plus mauvais état que celle de l’autre vidéo, mais présente un grand trou carré coupé dans le corps de la bombe et, à l’intérieur, un remplissage solide. Si la munition est lourdement endommagée, le large trou carré a clairement été découpé dans la munition, et si elle avait contenu du sarin, alors ce sarin aurait clairement été dispersé. À aucun moment de la vidéo la bombe n’est décrite comme une bombe chimique, suggérant là encore qu’il pourrait s’agir d’une bombe chimique M4000 modifiée pour contenir un explosif conventionnel.

Bien qu’il n’y ait pas de signes particuliers d’altération sur le corps de la bombe visible dans la vidéo d’avril 2013, il doit être noté que la totalité de la munition n’est pas visible dans la vidéo, il n’est donc pas possible d’établir si elle a été modifiée d’une manière similaire. Il n’est donc pas possible de confirmer que la bombe de la vidéo d’avril 2013 était remplie de sarin ou d’un autre type d’agent chimique.

Conclusion

En se basant sur le diagramme de la bombe chimique M4000 publié par les représentants de la fédération russe, ainsi que sur les nombreuses similarités qu’elle possède avec la bombe de la vidéo d’avril 2013, il est clair que la bombe de la vidéo d’avril 2013 est une bombe chimique de type M4000.

Les débris retrouvés sur le site de l’attaque au sarin d’al-Lataminah survenue le 30 mars 2017 correspondent parfaitement avec les caractéristiques de la bombe de la vidéo d’avril 2013, et avec le diagramme présentant la bombe chimique M4000 publié par la fédération russe. Il est donc certain que la bombe chimique M4000 a été utilisée dans l’attaque d’al-Lataminah le 30 mars 2017.

Le bouchon de remplissage documenté dans le cratère de Khan Cheikhoun correspond avec une bombe chimique de type M4000, et les dommages observés sur la large pièce de métal correspondent également avec ceux observés sur les exemples de M4000 non explosées montrés plus haut. Il est donc possible d’affirmer que la bombe utilisée à Khan Cheikhoun était probablement une bombe chimique de type M4000, bien qu’il soit possible qu’il s’agisse de débris provenant d’un autre type de bombe chimique syrienne.

Un article d’Eliot Higgins traduit par le collectif Syrie Factuel.