La déclaration de Tulsi Gabbard sur les attaques chimiques en Syrie : Un texte confus et bourré de contradictions

Pendant les primaires du Parti démocrate pour l’élection présidentielle de 2020 une candidate s’est distinguée par sa position sur le conflit syrien. Tulsi Gabbard s’est attiré les foudres des commentateurs et de ses opposants pour ses commentaires sur la Syrie. Dernièrement, c’est sa concurrente Kamala Harris qui a qualifié Gabbard d’ « apologiste » d’Assad. Pour réagir aux critiques, elle a récemment publié sur le site de sa campagne Tulsi 2020 une « Déclaration sur les attaques chimiques en Syrie », dans laquelle on peut lire :

« Il existe des preuves que le gouvernement syrien de Bachar al-Assad ainsi que les groupes d’opposition armés alignés contre lui ont chacun fait usage d’armes chimiques pendant la guerre syrienne.

Je reste cependant sceptique au sujet de deux attaques chimiques en particulier, celle de Khan Cheikhoun survenue le 4 avril 2017, et celle de Douma, le 7 avril 2018. Les deux attaques ont eu lieu dans des villes contrôlées par des forces de l’opposition liées à al-Qaïda. Ces deux attaques ont causé de nombreuses victimes civiles et chacune d’elles a immédiatement été attribuée au gouvernement d’Assad. Pourtant, il existe des preuves qui suggèrent qu’elles auraient pu être mises en scène par les forces d’opposition afin de pousser les États-Unis et l’Occident à s’ingérer encore plus dans la guerre.

Malheureusement, dans les deux cas, le président Trump a lancé des frappes de missiles en représailles contre le gouvernement syrien avant même qu’une enquête ait été ouverte, et encore moins terminée. Plutôt que d’attendre des preuves, Trump s’est fondé sur des publications sur les réseaux sociaux et sur des sources non-vérifiées originaires de territoires tenus par les rebelles, nombre d’entre eux ayant des liens avec al-QaÏda.

L’OIAC s’est également appuyé sur ses sources. »

Considérant la gravité de cette déclaration – notamment l’idée selon laquelle « il existe des preuves qui suggèrent qu’elles auraient pu être mises en scène par les forces d’opposition afin de pousser les États-Unis et l’Occident à s’ingérer encore plus dans la guerre » – ainsi que les allégations au sujet de Gabbard sur la Syrie, il est important de revenir sur les propos qu’elle a publié sur son site de campagne.

Dans son texte, Tulsi Gabbard compare les investigations menées par l’OIAC sur les attaques de Khan Cheikhoun et Douma avec le travail du docteur Theodore Postol, qu’elle décrit ainsi :

« Le docteur Theodore Postol est un professeur émérite de l’Institut de technologie du Massachussets (MIT) et un expert reconnu en armes explosives. Postol dit du rapport de l’OIAC qu’il est rempli d’omissions, d’incohérences et d’erreurs factuelles. Il suspecte l’OIAC d’être elle-même compromise et d’avoir fait son rapport pour soutenir un narratif, pour désinformer plutôt que d’éclairer. »

Dans une interview sur The Real News Network en juin 2019 sur l’attaque chimique de Douma, Postol confirme qu’il a rencontré Gabbard à Washington pour discuter des attaques chimiques en Syrie, notamment celles de Khan Cheikhoun et Douma.

Ted Postol sur RT discutant au sujet de l’attaque au sarin de Khan Cheikhoun (source)

Postol est une figure controversée à propos de l’utilisation des armes chimiques en Syrie. Il s’est d’abord fait connaître sur le sujet après l’attaque au sarin du 21 août 2013 à Damas, suggérant que l’attaque avait été mise en scène. Il est devenu particulièrement célèbre quand son propre manque d’expertise en chimie l’a amené à approcher la youtubeuse conspirationniste Maram Susli, également connue sous les noms de Mimi al-Laham, PartisanGirl, Syrian Girl et Syrian Sister, pour obtenir ses conseils sur la fabrication d’armes chimiques.

Mimi al-Laham discutant avec Alex Jones sur InfoWars (source)

Dans une interview avec le conspirationniste Ryan Dawson en 2014, Postol a déclaré au sujet de Maram Susli : « je savais qu’elle était chimiste car je la suivais sur Twitter. Je pouvais voir à sa voix – je ne la connaissais pas et je ne la connais toujours pas – qu’elle était une chimiste aguerrie ». Bien qu’elle ne soit qu’une simple étudiante en chimie, c’est donc bien cette youtubeuse australienne que Postol a choisi pour être sa seule référence sur le sarin utilisé dans l’attaque du 23 août 2013, ainsi que pour attaquer le travail du spécialiste des armes chimiques Dan Kaszeta au sujet de l’usage d’hexamine dans la recette du sarin syrien.

Cheryl Rofer, spécialiste des armes chimiques et contributeur pour Bellingcat qui possède des décennies d’expérience, a déclaré ceci à propos des analyses de Postol s’appuyant sur les conseils de Susli :

« Postol opère à partir d’un ensemble d’hypothèses naïves, basées sur l’expérience limitée de son informatrice dans un laboratoire de chimie en première année. Nous avons pour résultat une analyse erronée du problème et les questions absurdes qu’il a posées à Kaszeta. Aucun des arguments de Postol ne sonne comme s’il avait été écrit par un chimiste ou par quiconque avec une réelle expérience professionnelle dans le domaine de la chimie. »

Suite à l’attaque au sarin de 2013, d’autres publications de l’OIAC sont venues confirmer les hypothèses originales de Dan Kaszeta sur l’usage d’hexamine dans la recette du sarin syrien, et ont une fois de plus démenti le travail réalisé par Postol avec Susli, travail que Postol a pourtant plusieurs fois utilisé pour qualifier les déclarations de Kaszeta de «frauduleuses».

Postol a également publié de nombreux articles à propos de l’attaque au sarin de Khan Cheikhoun en 2017, mais en faisant une nouvelle fois des erreurs significatives. Dans son article, «Le rapport des renseignements français du 26 avril 2017 contredit les allégations du rapport des renseignements de la Maison Blanche du 11 avril 2017» Postol affirme que les preuves dévoilées par le gouvernement français sur l’attaque de Khan Cheikhoun contredisent directement les déclarations américaines sur cette même attaque, allant jusqu’à décrire des lieux d’attaques et des mécanismes de largage différents. Une affirmation très sérieuse, à ceci prêt qu’un petit détail a échappé à Postol.

En lisant le rapport, Postol a confondu les déclarations françaises sur l’attaque de 2013 avec celles sur l’attaque de 2017, bien que les documents français soient très clairs à ce sujet. Ayant ainsi confondu deux attaques qui n’avaient rien à voir entre elles, Postol a tout de même écrit son article pour remettre en cause les déclarations américaines à propos de Khan Cheikhoun. Suite à un article publié par Bellingcat, Postol a finalement supprimé son texte.

Malgré ces erreurs répétées, le travail de Postol s’est montré populaire auprès de ceux qui souhaitent contester les allégations d’utilisation d’armes chimiques en Syrie. Postol est apparu dans des médias financés par le gouvernement russe tels que Russia Today et Sputnik, et a été largement cité par les médias pro-Assad et les sites complotistes. Voilà qui Gabbard a choisi comme principale référence pour sa « Déclaration sur les attaques chimiques en Syrie ».

La désinvolture de Postol se reflète d’ailleurs dans le texte de Gabbard. Elle commence ainsi son passage sur Khan Cheikhoun par un résumé du rapport de l’OIAC :

« Khan Cheikhoun est une ville de la province d’Idleb, au nord-ouest de la Syrie, contrôlée par al-Qaïda. Le matin du 4 avril 2017, elle a été bombardée par une arme chimique larguée par un avion. La bombe a laissé un cratère d’environ 1 mètre de diamètre et demi-mètre de profondeur au milieu d’une route. Les photographies publiées sur les réseaux sociaux montrent l’enveloppe cylindrique d’une bombe dépassant du cratère. La bombe contenait du sarin, un gaz neurotoxique, qui s’est dispersé dans la ville et a tué 89 personnes. »

Elle énumère ensuite une liste de ce qu’elle désigne comme des « incohérences du rapport ». Liste qui, ironiquement, est elle-même incohérente. La première est décrite comme suit:

« La taille et la forme du cratère et les dommages subis par le cylindre ne sont pas conformes aux effets d’une bombe aérienne, mais plutôt avec un engin piégé placé a même le sol, et que l’on a fait exploser. »

Cette affirmation est basée sur l’article de Postol « Évaluation rapide du rapport de renseignement de la Maison Blanche publié le 11 avril 2017 à propos de l’attaque provoquée par un agent neurotoxique à Khan Cheikhoun en Syrie », dans lequel Postol a déclaré : « Aucun analyste compétent ne manquerait de relever le fait que l’engin contenant du sarin a été écrasé par en haut avec force, plutôt que d’avoir explosé de l’intérieur à cause d’une charge qu’il aurait contenu. » Pour étayer sa déclaration, Postol présente le visuel suivant :

Ce que Gabbard semble ignorer, c’est que Postol est lui-même revenu sur cette hypothèse lors d’un débat en 2018 sur Khan Cheikhoun avec l’auteur de ces lignes. Postol affirme maintenant, sur la base d’une modélisation informatique, que le cratère aurait en fait été créé par une roquette, ce qui est en totale contradiction avec sa précédente affirmation, reprise par Gabbard.

Et pourtant, la note de bas de page n°5 du texte de Gabbard renvoie justement à celui dans lequel Postol revient sur son analyse antérieure. Soit Gabbard n’a pas lu le texte de Postol qu’elle a cité, soit elle utilise sciemment des informations que sa propre source a démenti.

Gabbard déclare ensuite ce qui suit :

« Des vidéos de panaches de fumée montrent que le vent soufflait dans une direction différente de celle affichée par la météo le jour de l’attaque, ce qui suggère que les vidéos ont été prises un autre jour. »

Elle fait ici référence à cette vidéo, mise en ligne environ une heure après l’attaque :

 

La vidéo montre bien des panaches de fumée et de poussière après le bombardement de Khan Cheikhoun, mais la caméra n’est pas dirigée vers l’emplacement du cratère dans lequel du sarin et les restes de la bombe ont été retrouvés. Des armes conventionnelles ont également été utilisées en nombre à Khan Cheikhoun au moment de l’attaque. Et ce que l’on voit sur cette vidéo n’est autre que les impacts d’autres frappes aériennes à d’autres endroits. Un détail par ailleurs déjà expliqué dans une enquête du New York Times :

Le New York Times a parlé à la personne qui a filmé cette vidéo et a confirmé qu’elle avait bien été prise le 4 avril, et à une deuxième personne qui a filmé une autre vidéo des mêmes frappes aériennes qui a également confirmé qu’elle avait été filmée le 4 avril. En outre, le New York Times a pu retrouver l’endroit où à la vidéo a été tournée, dénichant au passage d’autres détails lui permettant d’affirmer qu’elle avait été filmée le matin. Le journal a également confirmé que les nuages ​​de fumée et de poussière autour des bâtiments endommagés apparaissaient bien sur les images satellites de Khan Cheikhoun prises après le 4 avril.

En outre, de nombreux témoins interviewés par l’OIAC et des journalistes ont confirmé le lieu de ces frappes aériennes. Des sites d’impact également documentés par des informations en sources ouvertes. Si cette vidéo n’avait pas été filmée le 4 avril, comme le suggère Gabbard, il aurait donc fallu préenregistrer non pas une, mais deux fausses vidéos. Il aurait aussi fallu que plusieurs témoins mentent de façon concertée à l’OIAC et aux journalistes à propos des frappes aériennes. Il aurait fallu enfin qu’une campagne coordonnée sur les réseaux sociaux soit organisée par de multiples organisations et individus, pour diffuser de fausses informations, et ce immédiatement après les frappes. Personne, ni Postol, ni Gabbard, ni la Syrie, ni la Russie, ni-même l’OIAC ou les enquêteurs indépendants, n’ont présenté de preuves permettant d’affirmer que ces frappes avaient eu lieu avant le 4 avril.

Gabbard, cependant, va plus loin : « Les photographies montrent que le cratère n’est pas resté intact » et qu’un animal mort a été déplacé de la scène. Or, personne ne nie que des éléments et des objets, à l’intérieur et autour du cratère, ont été déplacés. Mais cela ne prouve pas que la scène a été falsifiée. Nous savons en effet que des échantillons ont été prélevés par différents groupes et fournis à l’OIAC. Des agents du gouvernement syrien se sont eux-mêmes procuré des objets avant de les retirer du cratère, ces objets sont d’ailleurs répertoriés dans le rapport de la mission d’enquête de l’OIAC sur Khan Cheikhoun. Certains des éléments fournis à l’OIAC par la Syrie, énumérés dans le rapport, notamment des objets métalliques trouvés dans le cratère, sont visibles ci-dessous :

Gabbard mentionne également ce qui suit à propos de Khan Cheikhoun:

« Des photographies montrent des personnes debout autour du corps de la bombe portant uniquement des gants et des masques anti-poussière, ce qui ne serait pas suffisant pour les protéger des résidus de sarin dans le cratère. »

Un argument repris par de nombreux théoriciens du complot et blogueurs pro-Assad qui suffit pour eux à prouver que le sarin n’a pas été utilisé dans cette attaque. Au-delà du fait que de nombreux échantillons provenant du site de l’attaque, y compris des échantillons fournis par le gouvernement syrien lui-même donc, montrent que du sarin a été utilisé, l’affirmation de Gabbard repose sur un malentendu quant à la nature du produit utilisé.

Les armes chimiques peuvent être classées en deux catégories : persistantes et non persistantes. Les armes chimiques persistantes restent dans l’environnement pendant de longues périodes, alors que les armes non persistantes, comme leur nom l’indique, ne le restent pas. Un certain nombre d’études ont justement été réalisées sur le niveau de persistance du sarin. Le rapport du Centre norvégien de recherche sur la défense, « Les agents d’armes chimiques et leurs interactions avec les surfaces solides », publié en 2013, définit qu’un agent de guerre chimique est « considéré comme persistant s’il est capable de faire des victimes pendant 24 heures voire plusieurs jours après sa propagation, tandis qu’un agent non-persistant se dissipe ou perd sa capacité à faire des victimes au bout de 10 à 15 minutes ». Le centre présente le tableau suivant pour démontrer la persistance de divers agents de guerre chimique :

Selon les simulations météorologiques historiques, les températures relevées à Khan Cheikhoun dans l’année de l’attaque au sarin oscilleraient entre 7° et 23° Celsius au cours d’une journée, ce qui entraîne une faible persistance. Bien que le sarin ait pu être détecté dans des échantillons, il ne serait pas étonnant que des personnes puissent rester dans et autour du cratère de celui-ci alors qu’elles étaient relativement non protégées après que l’attaque ait eu lieu, d’après ce que nous savons de la littérature scientifique sur la persistance du sarin.

Enfin, Gabbard estime qu’« il y a aussi des incohérences temporelles, les dossiers hospitaliers montrent que des victimes sont arrivées avant que la frappe aérienne ait soi-disant eu lieu. » Une incohérence pourtant déjà expliquée dans le rapport d’enquête établi dans le cadre de l’instance conjointe placée sous l’égide de l’OIAC et de l’ONU publié sur Khan Cheikhoun :

« Certaines irrégularités ont été observées dans les éléments d’information analysés. Par exemple, plusieurs hôpitaux auraient commencé à admettre des victimes de l’attaque entre 6 h 40 et 6 h 45. L’Instance a reçu les dossiers médicaux de 247 patients de Khan Cheikhoun qui avaient été admis dans divers établissements de soins de santé, y compris des survivants et un certain nombre de victimes qui sont finalement décédées des suites de l’exposition à un agent chimique. Les heures d’admission indiquées dans les registres vont de 6 h 00 à 16 h 00. L’analyse des dossiers a révélé que dans 57 cas, des patients avaient été admis dans cinq hôpitaux avant l’incident (à 6 h 00, 6 h 20 et 6 h 40). Dans 10 de ces cas, les patients semblent avoir été admis dans un hôpital situé à 125 km de Khan Cheikhoun à 7 h 00, tandis que 42 autres patients semblent avoir été admis dans un hôpital situé à 30 km, à 7 h 00. L’Instance n’a pas enquêté sur ces divergences et ne peut déterminer si elles sont liées à un éventuel scénario de mise en scène ou au résultat d’une mauvaise tenue des registres dans des conditions chaotiques. »

L’enquête conjointe du mécanisme d’enquête conjoint de l’OIAC et de l’ONU a conclu qu’un avion avait largué une munition sur Khan Cheikhoun, entraînant la libération de sarin. Et que « les irrégularités décrites dans la présente annexe ne sont pas de nature à remettre en cause les conclusions susmentionnées ».

Gabbard ne tient pas compte non plus des éléments de preuves clé issus des enquêtes de l’OIAC : les restes d’un bouchon d’obturation d’une bombe chimique syrienne, du sarin qui porte la signature chimique du processus de fabrication utilisé par le gouvernement syrien retrouvé dans des échantillons fournis par les Casques blancs, et par le gouvernement syrien lui-même. Plutôt que de retenir les déclarations de l’OIAC, de locaux, de journalistes, d’autres enquêteurs et de témoignages étayés par de multiples sources, Gabbard préfère se fier à des analyses abandonnées par leur propre auteur, ou qui omettent des éléments de preuves essentiels. Or, de manière troublante, les théories de Gabbard collent avec celles des complotistes qui nient les crimes de guerre, et qui sont relayées par les médias et gouvernements russes et syriens dans le but de désamorcer les accusations d’attaque chimique en Syrie.

Passant maintenant à l’attaque au chlore de Douma, Gabbard décrit la position de l’OIAC ainsi :

« Douma est une ville proche de Damas sous le contrôle d’un groupe d’opposition lié à al-Qaïda. Le 7 avril 2018, un an après l’attaque de Khan Cheikhoun et peu après l’annonce par le président Trump de son intention de se retirer de la Syrie, Douma a été attaquée avec des bombes au chlore larguées par un hélicoptère sur les toits d’immeubles à plusieurs étages, où elles ont explosé, diffusant du chlore dans les bâtiments et tuant les occupants. »

Avant d’écrire ce paragraphe qui contient des erreurs de débutant :

« Des photographies prises par les enquêteurs de l’OIAC montrent une bouteille de chlore jaune, en partie logée dans un trou percé dans le toit en béton armé du bâtiment, les extrémités cassées de la barre d’armature étant pliées vers le bas dans la pièce. Le trou est bien plus large que le diamètre de la bouteille de gaz. Il existe également des photographies d’un trou similaire dans le toit d’un bâtiment adjacent, où une autre bouteille de gaz jaune a été retrouvée posée sur un lit, à l’étage supérieur.»

Dire que « le trou est bien plus large que le diamètre de la bouteille de gaz » est totalement faux, comme on peut clairement le voir sur les photographies du rapport de l’OIAC :

Il est aussi faux de dire qu’ « il existe également des photographies d’un trou similaire dans le toit d’un bâtiment adjacent, où une autre bouteille de gaz jaune a été retrouvée posée sur un lit à l’étage supérieur ». Certes, dans le rapport de l’OIAC on trouve en effet cette image qui montre un trou semblable dans le toit d’un bâtiment adjacent :

Sauf qu’il ne s’agit pas du toit du deuxième site d’impact, désigné dans le rapport de l’OIAC en tant qu’emplacement n° 4. Le rapport de l’OIAC présente des images du toit de cet emplacement, totalement différent de celui présenté au-dessus :

Le rapport de l’OIAC indique également l’emplacement exact des deux sites, montrant qu’ils sont distants de 400 mètres et non pas « adjacents » comme l’écrit Gabbard.

Passons de sa description erronée des sites d’impact à ce qu’elle présente comme une première « incohérence ».

« L’évaluation réalisée par un ingénieur, complètement omise du rapport de l’OIAC, a fuité et contredit les conclusions du rapport. »

Gabbard fait ici référence à un rapport qui a fuité et que s’est procuré le « Groupe de travail sur la Syrie, la propagande et les médias » et qui aurait été écrit par Ian Henderson. Le groupe de travail a affirmé ce qui suit à propos de l’auteur :

« Nous sommes en mesure de confirmer qu’en tant qu’expert en ingénierie de la mission d’établissements des faits, Henderson avait été chargé de mener l’enquête sur les bouteilles et les sites d’impact présumés aux emplacements n° 2 et 4. »

Le directeur général de l’OIAC, Fernando Arias, a répondu qu’en réalité Henderson n’était pas l’enquêteur principal :

« Il convient de noter que, lors du déploiement de la Mission à Douma en 2018, cet employé était un officier de liaison à notre bureau de poste de commandement à Damas. En tant que tel et comme il est de coutume lors de tous les déploiements en Syrie, il a été chargé d’assister temporairement la mission dans la collecte d’informations sur certains sites de Douma.»

Et d’ajouter :

« Le document produit par ce membre de notre personnel a mis en avant une possible attribution de l’attaque, ce qui n’entre pas dans le mandat de la mission d’établissement des faits. J’ai donc indiqué qu’au-delà de la copie qui serait exclusivement conservée par la mission, le fonctionnaire serait invité à soumettre son évaluation à l’équipe d’enquête et d’identification, ce qu’il a fait, afin que ce document puisse ensuite être utilisé par les enquêteurs. »

En effet, la mission d’établissement des faits n’a pas le mandat pour attribuer la responsabilité des attaques. C’était auparavant le rôle du mécanisme d’enquête conjoint de l’OIAC et de l’ONU, mais la Russie avait opposé son veto à son renouvellement. L’équipe d’enquête et d’identification avait ainsi été créée à sa place. Voilà pourquoi le rapport divulgué ne faisait pas partie du rapport de l’OIAC sur Douma.

Pourtant, en se basant visiblement sur cette fuite, Gabbard fait la déclaration suivante :

« Un cylindre largué d’un hélicoptère n’aurait pas pu se loger dans un trou percé dans le toit, mais aurait simplement traversé ce toit voire un ou plusieurs étages inférieurs. »

Or, dans le rapport de la mission de l’OIAC sur Douma, le point soulevé par Gabbard est justement mentionné dans l’analysé des deux sites d’impact :

« En observant les dégâts sur le toit au-dessus du cratère, les experts ont été en mesure de fournir une explication sur le fait que le cylindre ne pénétrait pas complètement à travers l’ouverture. On peut constater qu’il y a eu un impact important sur le toit et les murs au-dessus du balcon. L’impact aurait ainsi pu diminuer la vitesse de chute du cylindre dont la trajectoire aurait été modifiée en percutant le toit en béton du balcon avant d’y former un trou, mais sans une force suffisante pour le traverser.»

La localisation de l’impact sur le toit en béton décrite ci-dessus est visible sur les photographies prises par l’OIAC sur le site :

Tulsi Gabbard déclare ensuite ceci :

« La taille du trou était trop grande. Un engin explosif en forme de cylindre largué depuis les airs aurait créé un trou légèrement plus large que son propre diamètre. »

Une affirmation quelque peu déroutante, car il existe deux sites d’impact, avec deux trous. Comme indiqué ci-dessus, sur l’un des sites, la bouteille n’a pas traversé le toit, il est donc peu probable que l’on se réfère à ce site. Un trou beaucoup plus grand a bien été vu sur le deuxième site, mais l’OIAC a suggéré que cela était dû à une trajectoire d’impact horizontale :

Dire qu’ « un engin explosif en forme de cylindre largué depuis les airs aurait créé un trou légèrement plus large que son propre diamètre » est également étonnant, car en réalité rien n’indique que les engins chimiques utilisés à Douma étaient constitués d’explosifs. Au mieux, cette affirmation nécessite des explications supplémentaires.

Gabbard continue ensuite de se concentrer sur les trous :

« Le trou dans le toit de Douma semble correspondre à un tir d’artillerie plutôt qu’à une frappe aérienne, ce qui suggère que le cylindre a été placé dans une ouverture créée par une précédente attaque d’artillerie et que son contenu a été libéré dans le bâtiment situé en dessous. »

Gabbard fait visiblement référence ici au site avec le trou le plus petit. Mais s’il avait été touché par une frappe d’artillerie avant la chute du cylindre, nous devrions observer d’importants dégâts de fragmentation autour du trou ainsi que sur les murs entourant le point d’impact. Or rien de tel n’est visible, les dégâts observés ne sont tout simplement pas compatibles avec une frappe d’artillerie.

Puis, soudain, Gabbard change de sujet :

« Le rapport officiel de l’OIAC a omis d’inclure la découverte d’un laboratoire d’armes à proximité contenant plusieurs bouteilles de gaz jaunes identiques, ce qui suggère clairement que les terroristes eux-mêmes étaient en possession de dispositifs d’armes chimiques. »

C’est totalement faux. La mission de l’OIAC dédie plusieurs pages de son rapport à la visite de ce site dans l’annexe 8 et conclut :

« Compte tenu des produits chimiques et des équipements présents ainsi que de l’absence de dispositifs de protection contre les produits chimiques toxiques, il est hautement improbable que des armes chimiques aient été fabriqués à cet endroit. Avec les ingrédients chimiques présents ou supposés être présents, il n’est pas possible de fabriquer des agents neurotoxiques ni des vésicants. Certains des produits chimiques observés pourraient être utilisés dans la fabrication d’au moins deux des produits du tableau 3A, le cyanure d’hydrogène et le chlorure de cyanogène, deux agents sanguins hautement toxiques (non trouvés sur le site). Comme il s’agit pour l’un d’un liquide à bas point d’ébullition (le cyanure d’hydrogène bout à 26 °C) et pour l’autre d’un gaz (le chlorure de cyanogène bout à 130 °C), il serait très difficile de manipuler ces produits chimiques, notamment en l’absence de tout équipement de protection individuelle, de système d’épuration d’air ou d’équipement de stockage approprié.

D’autre part, le matériel et les produits chimiques présents ressemblent plutôt à des éléments nécessaires à la production de simples explosifs. Tous les produits chimiques retrouvés sont en effet couramment utilisés dans la fabrication d’explosifs et de combustible. »

L’armée et les médias syriens ont souvent présenté des installations rebelles de fabrication d’explosifs comme des laboratoires d’armes chimiques, y compris donc visiblement dans ce cas précis.

Tulsi Gabbard conclut enfin :

« L’essentiel, c’est que moi-même et des milliers de mes frères et sœurs en armes sommes partis en guerre en Irak sur la base de fausses informations et des mensonges de nos dirigeants – notre président, nos responsables militaires et nos dirigeants politiques. Nous aurions alors dû être sceptiques, mais nous ne l’avons pas été. Le coût du sang et de l’argent se compte aujourd’hui en milliers de personnes et en milliards de dollars, durement gagnés par les contribuables et jetés par la fenêtre. Je pense qu’il est de mon devoir, en tant qu’ancienne combattante et membre de la chambre de la commission des Forces armées et de la chambre des Affaires étrangères, de m’assurer que de tels faux renseignements et mensonges ne seront plus jamais utilisés pour justifier le recours à la force militaire américaine. »

Bien qu’il s’agisse là d’une intention a priori louable, ceci ne peut pas être fait avec vos fausses expertises, vos dossiers douteux, et vos mensonges.

Un article d’Eliot Higgins traduit par le collectif Syrie Factuel.